Pierre de Cabissole, 39 ans
Pierre a une vie bien remplie : scénariste, réalisateur, compositeur de musique et producteur pour le cinéma d’animation. Il a même fondé sa propre boîte. Ce parisien âgé de 39 ans a été diagnostiqué de la SEP il y a 10 ans. Au cours d'une hospitalisation, sa cousine le met au défi d'écrire un livre sur ce qui lui arrive : pari tenu pour Pierre. Il raconte ainsi ses victoires et ses renoncements, ses joies comme ses désillusions, ses mésaventures avec le monde médical mais aussi la force de l'amour de ses proches.
Pouvez-vous vous présenter ?
P : Je suis Pierre de Cabissole, j’ai 39 ans, je suis né à Montpellier. Je dirige depuis 12 ans à Paris, le studio de cinéma d’Animation SUPAMONKS. En plus de l’activité de dirigeant, je suis aussi scénariste, réalisateur et compositeur de musique en cinéma d’animation.
Comment avez-vous géré l’annonce de la SEP ?
P : Ça n’a pas été un drame ni un séisme pour plusieurs raisons. Je suis plutôt solide de nature dans ma tête. Au moment du diagnostic j’étais très peu touché physiquement et donc cela restait un peu abstrait. A l’époque les smartphones n’existaient pas et il était donc impossible d’aller se faire peur sur Internet dès les premières minutes suivant le diagnostic. J’ai haï l’absence totale de psychologie du médecin qui m’a annoncé la nouvelle et donc mon attention s’est plutôt focalisée sur cette détestation que sur l’annonce (si c’était une stratégie de sa part ‑je ne crois pas- c’était bougrement malin). Ensuite j’ai digéré, j’ai compris, mais je me suis résolu extrêmement vite à « accueillir » la SEP dans ma vie et j’ai pris la décision de ne jamais me plaindre. Les gens admirent ce qu’ils prennent pour du courage alors qu’il ne s’agit que d’une stratégie : je ne me plains pas, les gens admirent cela, je tire de leur admiration la force pour lutter et continuer à ne pas me plaindre.
Pouvez-vous nous décrire votre projet de livre ?
P : Il s’agit d’un livre qui raconte les dix premières années de la maladie depuis le diagnostic jusqu’à ce que ma cousine – elle-même médecin – me mette il y a deux ans au défi d’en faire quelque chose : “pourquoi pas un livre ?”. Il ne s’agit pas d’un témoignage un peu plombant comme on peut en lire assez souvent : je parle d’amour, je raconte des anecdotes surréalistes que j’ai vécu avec les médecins, dans les hôpitaux, etc. J’ai écrit ce livre en trois semaines le temps d’une hospitalisation et j’ai d’abord bien réfléchi à sa forme avant de me lancer. Il s’agit d’un récit “anachronique” pour damer le pion à une maladie chronique. Le ton est léger car je souhaitais écrire comme je parle, comme si je racontais mon histoire à des copains autour d’une bière. Enfin, l’avant dernier chapitre (le dernier est une parenthèse de fin), est une déclaration d’amour à ma compagne. Ça n’a plus grand-chose à voir avec la maladie si ce n’est de dire “j’emmerde la maladie ce qui compte c’est l’amour de cette femme et c’est sur ça que doit rester le lecteur quand il fermera le livre.”
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ? Dans quel but ?
P : L’envie est venue du défi lancé par ma cousine d’une part “pas cap d’écrire un livre sur la SEP” et d’autre part du besoin, arrivé à 10 ans de maladie, de regarder un peu dans le rétroviseur ce que je ne fais jamais dans la vie.
Et maintenant quand quelqu’un me pose des questions je me sens libre de lui répondre : “Ecoute y a un livre à la FNAC qui s’appelle Et vivre encore, lis le, c’est trop long à expliquer là, si on picolait plutôt ?”
A vos yeux, la communication sur cette maladie est-elle importante ou bénéfique pour surmonter la SEP ?
P : La communication sur cette maladie ne m’aide en rien à titre personnel mais pour effectuer de nombreux séjours hospitaliers je sais qu’elle est essentielle pour certains patients qui se sentent démunis, esseulés, « abandonnés » parfois. C’est pour ça que je soutiens de toutes mes forces les personnes communiquant sur la maladie même si de mon côté je ne ressens pas le besoin ‑aujourd’hui en tous cas- de me documenter sur la maladie (peut-être ai-je peur de le faire aussi).
Où avez-vous trouvé les financements pour ce projet ?
P : Un livre demande juste un peu de temps et de concentration. Un séjour hospitalier de 3 semaines a été le déclencheur idéal pour moi, l’ennui étant le principal compagnon des personnes hospitalisées. Ensuite j’ai eu la chance que ma neurologue apprécie le manuscrit (qui écornait pourtant pas mal son service et ses collègues) et le fasse passer à une éditrice de Grasset qu’elle avait rencontré quelques semaines plus tôt dans un diner. Cette éditrice, la merveilleuse Martine Boutang, a fait son travail et gommer 1000 défauts pour faire du manuscrit un livre publiable.
Avez-vous eu des craintes avant ou pendant l’élaboration de ce projet ?
P : Non, je suis trop insouciant pour ça. J’ai écrit le livre par défi et sur un coup de tête puis je ne me suis ensuite jamais posé de question sur la manière dont il serait reçu.
Avez-vous rencontré des difficultés lors de l’élaboration de ce projet ?
P : Non, pas vraiment si ce n’est la nécessité d’ascèse qu’impose l’écriture, mais qui était de toute manière induite par les conditions de “longue hospitalisation”, sans parasitage par quoi que ce soit qui aurait pu me sortir de ma concentration.
Quel a été le moment le plus beau ? Et lequel a été le plus dur ?
P : Des beaux moments, j’en ai vécu des dizaines. D’abord les retours amicaux et enthousiastes de mes premiers lecteurs, ensuite l’intérêt puis la publication par Grasset et la rencontre avec mon éditrice que j’aime beaucoup. Les émissions de télé ou de radio et les articles de presses sont aussi des moments sympas. Le Prix Parole de patient, qui est mon premier prix littéraire, est aussi assez valorisant. Je n’ai pas vécu de moment dur, ou alors trois fois rien, comparé à tout l’amour et toute la considération reçus.
Si vous n’aviez pas eu la SEP, pensez-vous que vous auriez réalisé ce projet (celui d’écrire un livre sur vous) ?
P : Non, bien sûr que non. Qu’aurais-je eu à dire sur moi si je n’avais pas eu de SEP ?
“Salut, tout va bien pour moi, si vous vous posiez la question. Je cours, je saute, je danse. Ce grand truc tout blanc là, c’est un hôpital ? Ah bon ok, je savais pas…” Non vraiment j’avais une vie sublime avant la maladie, mais rien qui ne mérite un livre.
Si vous deviez retenir une seule chose de cette expérience, quelle serait-elle ?
P : Qu’il faut parfois un électrochoc pour que les gens qui vous aiment osent vous le dire. Ce livre a été un électrochoc pour beaucoup de gens autour de moi.
Si vous deviez donner un conseil à ceux qui n’osent pas se lancer dans des défis ou des projets de ce type, quel serait-il ?
P : Je serais bien incapable de donner un conseil et ce serait bien prétentieux de ma part. J’ai écrit un livre, il a plu et j’ai bien conscience que c’est une chance rare. Concernant les malades de la SEP, je ne suis pas un exemple à suivre (ou à rejeter d’ailleurs), comme chaque malade est différent. Si vraiment, je devais donner un conseil, alors je dirais “si vous en avez envie, si vous en ressentez le besoin, tentez de trouver une manière de dire ce que vous avez à dire : il y a sûrement du bon à en tirer”.
Le livre de Pierre de Cabissole “Et vivre encore”, 260 pages, aux éditions Grasset.
M‑FR-00010241–1.0 — Établi en février 2024
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