
Gaëlle, 48 ans
Gaëlle est une femme de 48 ans, médecin épidémiologiste du Service de Protection Maternelle et Infantile du Finistère. Elle a été diagnostiquée SEP à 22 ans, le 27 décembre 1993 durant sa 6ème année de médecine à Brest. Elle a décidé de mettre son savoir sur la maladie et sa passion pour la danse au service des autres patients.
Comment avez-vous géré l’annonce de la SEP ?
G : Plutôt bien, le début des signes a débuté le 17 décembre 1993 matin (le jour de la Sainte Gaëlle), sans préavis. Après avoir vécu pendant 10 jours des signes neurologiques très inquiétants : déficit moteur des 2 membres inférieurs et une immense faiblesse de tout mon hémicorps droit, le 27 décembre 1993, j’ai eu la malchance de déclarer concomitamment une gastro-entérite qui me provoquait d’incessants vomissements. Pour un médecin, l’association de signes neurologiques et de vomissements correspond le plus souvent à une hypertension intracrânienne et donc possiblement à une tumeur cérébrale évolutive…
Le diagnostic de SEP m’est apparu bien moins effrayant que celui de cancer du cerveau (ma vie n’était pas en danger). Ceci dit, je connaissais parfaitement ce qui était enseigné sur la sclérose en plaques en fac de médecine car il n’existait aucun traitement de fond à l’époque, uniquement des traitements symptomatiques en perfusions à chaque poussée et de la kiné.
Je connaissais ma force de caractère, j’étais confiante (j’ai tout de suite compris que je devais faire de ma SEP une alliée vu qu’elle me grignotait de l’intérieur) et j’ai essentiellement passé cette période à soutenir mes proches qui ont mal réagi à ce diagnostic.
Pensez-vous que votre connaissance de la maladie vous a permis de mieux aborder le diagnostic ?
G : Je l’ignore, je connaissais déjà en théorie tout ce qui était enseigné sur la SEP et étais tout à fait convaincue qu’aucun espoir thérapeutique proche n’était envisagé à l’époque.
Ce en quoi je me trompais puisque j’ai eu la surprise de voir l’arrivée des premiers traitements de fond ! Hélas, entre 1993 et 1996, j’ai enchaîné les poussées sans répit (des poussées quasiment toujours motrices, ce qui n’est pas de bon pronostic dans cette maladie).
Pensez-vous qu’il est important que les patients comprennent leur maladie pour mieux vivre avec ?
G : Probablement, oui pour la majorité des gens. Dans mon cas, le diagnostic m’a permis de prendre du recul, une sorte d’élan pour préparer mes armes (ma joie de vivre et ma détermination à vivre) et continuer mes études bien que j’ai dû me réorienter professionnellement dès le 1er mois qui a suivi mon diagnostic de SEP ! Je l’ai très mal vécu car, justement, je visualisais parfaitement ce que signifiait un tel diagnostic et je n’admets toujours pas qu’on m’ait poussé à rester médecin généraliste, dont l’exercice médical est incompatible avec un fauteuil roulant (contrairement à celui d’un psychiatre par exemple).
J’ai tout de suite capté l’injustice et la discrimination auxquelles j’allais devoir désormais faire face… parce que j’analysais parfaitement la situation!
Est-ce plus douloureux que pour quelqu’un moins bien informé ? Je ne sais pas car être au clair sur la maladie met en exergue la violence sociale envers les personnes handicapées (ou futures handicapées) … à l’époque (avant la loi de 2005), je n’avais pas d’autre choix que de serrer les dents et tenter de faire semblant d’être en bonne santé… double peine !
Cette expérience à 22 ans a renforcé toutes mes déterminations…

Pouvez-vous nous décrire votre projet (la danse pour tous) ?
G : C’est un vieux rêve, puisque le diagnostic de SEP en 1993 et les troubles moteurs toujours présents depuis (avec des aggravations) m’ont contrainte à stopper la danse du jour au lendemain à 22 ans. Je dansais depuis mes 4 ans et boum : SEP !
J’ai longtemps espéré, un jour, pouvoir redanser malgré mes contraintes mais ma vie rendait cela impossible, je dansais en pensées.
De la même façon, j’avais débuté le hatha yoga en 1988 et, au fil des poussées de ma SEP, j’ai appris à « faire du yoga dans ma tête » et à beaucoup méditer.
Ce n’est qu’après l’âge de 45 ans que ce rêve a pu se réaliser (alors que je n’y croyais plus) grâce à un ami.
Il a fini par me convaincre que je pouvais danser autrement, d’une façon qui m’est personnelle, unique : au sol, sur une chaise etc.
J’ai fini par essayer et j’ai retrouvé quelques sensations très chouettes en bougeant en musique. A titre personnel, je dois à Franck Kuntz, cet ami diplômé en musique, danse et chorégraphie qui dirige la compagnie artistique YaNada, cette « résurrection ».
Nous avons donc convenu de créer ensemble un atelier de danse pour des personnes contraintes à vivre avec une maladie chronique invalidante et/ou un handicap moteur, même invisible de l’extérieur. En effet, toutes ces personnes ont en commun un passé, composé d’un « avant » et d’un « après ». Nous souhaitons créer une bulle de bienveillance dénuée de jugement et ouvertes à différentes maladies physiques.
En juin 2019 et en novembre 2019 se sont tenus des ateliers de 2 demi-journées sur 2 jours consécutifs pour une vingtaine de personnes réparties en 2 groupes. Les lieux, sur Brest, dans la grande salle de répétition de danse du Quartz , Scène nationale, puis dans un Salon officiel de l’Hôtel de Ville principal de Brest.
En tant que médecin, j’avais sélectionné au préalable une vingtaine de personnes intéressées par cet atelier et ayant toutes un handicap. Ces personnes s’étaient spontanément réparties entre le groupe de danseurs des matins et celui des après-midis en fonction de leurs contraintes de santé. La qualité de ces ateliers a été unanimement saluée.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce projet ? Dans quel but ?
G :Une intime conviction de l’intérêt de la danse pour des personnes exclues des écoles de danse plus « habituelles », renforcée par les nombreuses recherches bibliographiques et scientifiques que j’ai réalisées.
Les démonstrations sont impressionnantes en termes de mieux-être global, de fluidification des mouvements pendant la danse. Si, au départ, presque chaque danseur avait besoin d’une ou deux cannes pour se déplacer, dès la première heure d’atelier, plus aucun danseur n’en nécessitait.
De mon côté, par mes connaissances médicales, j’ai pu m’assurer lors du recrutement comme lors de l’atelier que tout se passait bien pour les danseurs, que l’atelier était adapté à leur état de santé et à leurs besoin, en toute sécurité, y compris pendant les moments de « repos » physique sous forme de relaxation guidée par Franck Kuntz et les moments d’échanges verbaux formalisés dans le groupe .
D’autre part, il est important à nos yeux de lutter contre l’isolement qui découle de la situation de personnes porteuses d’une maladie chronique invalidante. C’est un grand bonheur pour Franck Kuntz comme pour moi de témoigner, en dehors des ateliers de danse, qu’Andy a permis de créer de nombreux liens d’amitié, une sorte de « famille » et donc de faire reculer l’isolement lié au handicap. Le tout dans le respect de chacun et une totale bienveillance.
A vos yeux, l’art et la création sont-ils importants / bénéfiques pour surmonter la SEP ? pourquoi ?
G : La SEP entrave les mouvements précis (fatigue, tremblements, déficits moteurs et sensitifs) et de ce fait, la pratique d’une activité artistique est très difficile. L’intérêt de la danse est son adaptabilité à beaucoup de handicap dès lors que la personne est en processus d’auto-création de ses mouvements en fonction de sa capacité à bouger sur le moment.
Créer, c’est exister, c’est offrir ses talents sans être définitivement mis en difficulté par ses incapacités entravées. Créer est donc extrêmement positif pour chaque personne vivante car cela ne met enfin plus en évidence « le truc en moins » (habituellement pointé par la société sur les personnes handicapées), mais la possibilité de faire encore mieux, encore plus qu’une personne valide ! En effet, si vous faites danser côte à côte une personne valide et une personne contrainte de parcourir le parcours d’obstacles et de douleurs que comprend chaque maladie chronique invalidante, les yeux du public ne s’y tromperont pas et ne fixeront que la personne entravée qui a trouvé la force de sublimer son handicap (challenge autrement plus impressionnant que pour une personne valide)…
C’est pour ces raisons que l’art est un formidable vecteur de mieux-être, à la fois physique et psychologique, pour les personnes habituellement jugées « handicapées ».
L’Art est l’une des spécificités de l’Homme sur les animaux !
Je n’adhère absolument pas à cette terminologie trop statique de « situation de handicap », car vivre avec une maladie invalidante chronique n’est pas « une situation » mais une bataille quotidienne pour avoir une place dans la société.

Avez-vous rencontré des difficultés lors de l’élaboration de ce projet ?
G : Oui, la crainte des participants s’est avérée être le principal frein pour les ateliers de danse Andy. Il s’agit en particulier de l’accessibilité financière de chaque personne handicapée à l’atelier Andy. La compagnie artistique de Franck Kuntz, YaNada, est une compagnie privée et il existe de ce fait des frais incompressibles. Vu les finances très contraintes des participants handicapés, nous avons fixé le tarif à 20 euros par personne pour l’ensemble des 2 demi-journées d’atelier. Ce qui est bien éloigné des frais réels !
L’aventure a débuté avec la bienveillance et le soutien financier du Service de Promotion de la santé de la Ville de Brest, du Quartz et de la Compagnie YaNada elle-même. Mais nous rencontrons beaucoup de difficultés à mobiliser des fonds pour les ateliers à venir.
Quel a été le moment le plus beau ? Et lequel a été le plus dur ?
G : Comme souvent, le moment le plus beau et le plus dur sont souvent liés ! Ce qui a marqué les esprits, c’est la forte émotion (parfois même quelques larmes) qu’ont pu dégager nombre de danseurs à découvrir le bonheur de (re)découvrir la danse et à faire partie d’un groupe si bienveillant et non-jugeant.
Dans les ateliers Andy, les personnes malades chroniques et/ou handicapées finissent par oublier la contrainte quotidienne d’avoir « à se justifier », à s’adapter aux contraintes parfois ingérables de la « vraie vie ». Vivre ces heures de création artistique dans cette bulle bienveillante est un choc et un bonheur incroyable d’après les témoignages reçus.
Si vous deviez donner un conseil à tous ceux qui n’osent pas laissez libre court à leur créativité, lequel serait-il ?
G : On ne risque rien à essayer, sauf à se découvrir des compétences et beaucoup de bonheur !
Les 27 et 28 avril 2020, se tiendra le prochain atelier Andy danse au Quartz, Scène nationale de Brest, et le recrutement des volontaires a débuté.
La seule chose à faire pour demander à intégrer Andy danse est de me contacter par mail : [email protected] ou par téléphone ou sms au 06 77 55 70 53.
M‑FR-00010248–1.0 — Établi en février 2024
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